Magazine du Département de la Charente-Maritime - N°83
La fine fleur de Rochefort Au XVII e siècle, la noblesse de robe a autant d’importance que la noblesse d’épée. Les grands noms de l’État sont réputés dans tout le royaume et sont destinés à traverser les âges. Celui de Michel Bégon a lui aussi laissé sa marque sur notre époque, mais surtout à travers le nom d’une fleur. O n pourrait trouver cela un peu paradoxal, tant le grand homme a laissé une trace indélébile sur le pays d’Aunis et de Saintonge. Mais à mieux connaître le personnage, on ne s’étonne plus tellement. Michel Bégon est né à Blois en 1638, d’une famille noble établie sur les rives de la Loire depuis le XVI e siècle. Chez les Bégon, tous les garçons s’appellent Michel et on les distingue par un numéro. Pour le nôtre, ce sera le cinq. Prédestiné comme tous les hommes de sa famille à servir l’État, Michel fait ses armes à Blois jusqu’à ses trente-neuf ans. À cet âge, respectable pour l’époque, on n’imagine pas encore que le plus gros de sa carrière est devant lui. Mais sa proximité avec Colbert, qui a épousé sa petite nièce, lui permet en 1677 de connaître ses premières affectations dans la Marine. Il s’exerce à Toulon, à Brest, puis au Havre, où il connaît son premier poste de commandant du port. Repéré par les ministres du Roi, on lui propose en 1682 le prestigieux rôle d’Intendant des Isles d’Amérique. La découverte des Antilles aiguise un peu plus le goût de Michel pour les produits rares et précieux. Déjà héritier de par son père d’une collection de livres impressionnante, il développe dans les îles sa nature curieuse et se passionne pour les sciences, la botanique, les arts ou les estampes. Lorsqu’il arrive à Rochefort en 1688, après un court passage à Marseille, il est donc accompagné du cabinet de curiosité le plus fourni du royaume. Devenant Intendant du plus grand arsenal de France, il s’apprête à connaître son apogée dans la ville militaire qu’il transforme entièrement. La tâche est cruciale mais son zèle extraordinaire, son sens du bien public et son travail acharné l’aident à gouverner le port d’une main de maître. Pendant vingt- et-un ans, il s’attellera à fournir au Roi les vaisseaux armés qui participeront aux guerres ou à l’exploration des Amériques. Cependant, son rôle ne s’arrête pas au devoir militaire. Tout au long de son Intendance, Michel Bégon modernise les infrastructures hydrauliques, bataille contre une épidémie de peste et de typhus, ou transforme les bâtiments vétustes en une pierre durable destinée à contempler les siècles. Son épitaphe en l’église Saint-Louis en est le témoin, ornée d’une locution latine signifiant « Il trouva la ville naissante en bois / Il la laissa en pierre ». À ses heures perdues, Michel n’oublie pas ses premières passions. Tout au long de sa vie, il ne cessera de développer une collection si importante qu’elle finira par être acquise par le Roi. Il mandate également des missions scientifiques, parmi lesquelles celle du Père Charles Plumier qui sera chargé d’étudier les plantes des Amériques. C’est en son honneur que ce dernier donnera le nom de Bégonia à une fleur grasse et charnue aux couleurs éclatantes, connue de tous aujourd’hui. La trace de Michel Bégon dans l’Histoire est donc immense et vaut sûrement celle d’un Colbert ou d’un Mazarin. Et ce n’est peut-être pas un hasard si la fontaine de l’arsenal a fini par pencher comme une lointaine cousine de la tour de Pise. Le poids de l’Intendant le plus important de la ville a fini par l’atteindre comme pour mieux témoigner du passage de celui qui a dédié la meilleure partie de sa vie au développement et au rayonnement de Rochefort. 24 / L'histoire © Thomas Hérault / Malodrut
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