Magazine du Département de la Charente-Maritime - N°85

L'histoire / 25 Lefabuleuxdestin dePierrette On m’a d’abord appelée Pierrot. Oui, c’est un peu incongru pour une femme. Mais qu’est-ce qui est incongru finalement pour quelqu’un dont l’histoire a plus de 30000 ans ? Je suis Pierrette. Et je suis une Néandertalienne. C’est en 1979 que l’on a retrouvé ma trace, près de Saint-Césaire, sur une ancienne carrière alors transformée en champignonnière. La découverte d’objets en pierre datant de la préhistoire avait mené à une fouille archéologique qui pendant longtemps n’avait rien donné. Et puis un jour de juillet, je suis réapparue. On m’a tout de suite surnommée Pierrot, du nom du site sur lequel on m’a retrouvée : la Roche à Pierrot. Mais les preuves accumulées au fil du temps devinrent irréfutables ; j’étais bien une femme. Va pour Pierrette alors. Plus étonnant, mon âge : 36 000 ans. Ça n’a l’air de rien comme ça,mais cela fit l’effet d’une bombe à l’époque. J’étais devenue la preuve formelle que les Néandertaliens ne s’étaient pas éteints à la fin du paléolithique moyen et qu’ils avaient bien cohabité avec votre espèce, les homo sapiens. Cela fit tout de suite ma renommée, y compris à l’international. J’ai ainsi contribué à tordre le cou à de nombreuses croyances qui voyaient en moi une espèce humaine inférieure. On dépeignait les miens comme des sauvages simiesques, carnivores, reclus dans leurs grottes et couverts de peaux de bêtes. Il faut dire que notre apparence ne nous a pas aidés. Certes notre crâne est projeté en avant, nos orbites sont profondes et nos arcades sourcilières marquées. Mais à l’image des outils que l’on a retrouvés près de moi, nous étions nettement plus évolués que ce que laissait penser notre image. Parlons régime d’abord. Nous étions plus proches des chasseurs-cueilleurs que des bêtes assoiffées de sang. On mangeait de la viande bien sûr. Mais aussi des végétaux. Notre habitat ensuite.Oui, nous avons trouvé refuge dans des grottes. Mais nous étions aussi des nomades. Et vos archéologues ont depuis mis à jour des campements ombragés ou des haltes de chasse qui ont participé à prouver que nous pouvions adapter notre environnement. Nos habits enfin. Il n’y avait pas que les fourrures d’animaux. J’étais coquette figurez-vous. En m’émerveillant sur les plumes que je trouvais ici ou là, me vint l’idée de m’en parer les cheveux. Avec les serres des mêmes oiseaux, je confectionnais les premiers colliers. J’avais l’idée du beau. La lucidité des miens ne s’arrêtait pas là d’ailleurs. Nous avions conscience de la mort. Nous enterrions nos défunts et participions à des rites funéraires en leurs mémoires. Pas si sauvages les Néandertaliens, n’est-ce pas ? Et puis, je sais qu’un sujet vous fait beaucoup parler, vous les homo sapiens du XXIe siècle. À juste titre. La place de la femme dans la société. Sachez, Mesdames que je suis solidaire de vous. Moi aussi on m’a d’abord décrite comme cantonnée aux tâches ménagères et à la procréation. Mais j’étais bien plus que ça. On a prouvé que les femmes de mon espèce maniaient très bien la lance et pouvaient participer à la chasse. Et si les mâles étaient très liés à leur clan, les femmes, elles, au gré de leurs unions, s’émancipaient du groupe pour s’unir aux hommes d’autres clans. C’est grâce à nous si le patrimoine génétique ne s’est pas appauvri. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si 2% de nos gênes se retrouvent encore chez vous, chers homo sapiens. Je vous laisse imaginer comment c’est arrivé. Voilà, à quoi pouvait ressembler ma vie. Même si elle fut courte – je suis morte à 17 ans – j’ai eu la chance de la voir se prolonger quelques millénaires plus tard. En Charente-Maritime, il y a maintenant le Paléosite, un espace muséographique dédié à la Préhistoire, juste à côté de là où on m’a retrouvée. Tout ça c’est grâce à moi. Et c’est sûrement ce qui me rend immortelle. l'illustratrice Cette illustration de Pierrette a été réalisée spécialement pour le Département de la Charente-Maritime par Karen Pasquier ; rochelaise d’adoption, cette autodidacte travaille la plupart de ces illustrations au stylo Bic et s’est fait une spécialité des tampons encreurs avec des messages insolites. Retrouvez son travail sur Instagram: @karen.pasquier

RkJQdWJsaXNoZXIy NzI2MjA=