Magazine du Département

Des siècles pour créer cognac et pineau 10 PATRIMOINE L Le vignoble façonne les terres de Charente et Charente-Maritime, il se déploie à perte de vue et permet la création d'une eau-de-vie dont les modes de fabrication ont traversé les siècles. 4 4 Texte : Sophie Le Renard Illustrations : Philippe Biard Le travail dans une distillerie au milieu des vignes 1 , accolée à la maison de Maître typique. En Charente- Maritime, l'aire de production englobe tout le terroir avec 5 des 6 grands crus de Cognac, Petite Champagne, Borderies, Fins Bois, Bons Bois, Bois à terroir. Le pressurage Il est immédiatement effectué après la récolte du raisin 2 dans un pressoir traditionnel à plateau 3 . Le jus obtenu est ensuite mis à fermenter durant 5 jours. La distillation Elle permet de concentrer les arômes et l’alcool. Elle est obtenue par deux chauffes dans un alambic en cuivre 4 (la première permet l'obtention d'un "brouillis" de 28 à 32 %, la seconde "repasse" est la rechauffe du brouillis) dont la forme rebondie contribue à filtrer les substances volatiles. La vinification Elle va s'effectuer dans les foudres 5 . Ce sont des tonneaux de très grande capacité. La création du Pineau des Charentes ne fut pas intentionnelle. C'est en mélangeant une quantité de moût de raisin dans une barrique contenant de l'eau-de- vie de cognac, que ce vin de liqueur est né…Mais il faudra pas moins de quatre siècles avant qu'il ne soit commercialisé, en 1921. a Charente, terre viticole depuis la nuit des temps ? Selon les recherches archéologiques, les pre- mières plantations appa- raissent à la fin du I er siècle. À Cognac, des vestiges des bassins de réception des vendanges ou autres bâtiments de stoc- kage ont été mis à jour et datés des II e et III e siècles. Le fleuve Charente, baptisé « le sentier qui marche » par les Romains, joue un rôle central dans le commerce du vin et favorise les échanges internatio- naux à partir du Moyen Âge. Mais point de cognac encore. Les alambics font leur apparition au XVII e siècle, les premiers sont installés par les Hollandais, venus dans la région pour canaliser le Marais poitevin dans le cadre de sociétés par actions. Ces négociants boivent alors un breuvage issu des vignes charentaises, un « vin brûlé » qu'ils stockent dans les différents ports où les mènent leurs réseaux commerciaux. La liqueur des dieux À la suite de retards dans les chargements de bateaux, l'on s'aperçoit que cette eau- de-vie conservée dans des fûts de chêne se bonifie en vieillissant et qu'elle peut même se consommer pure. Le cognac est né, surnommé aussi « la liqueur des dieux ». À partir du XVIII e siècle, la méthode de la double distillation (en deux chauffes successives au moyen d’un alambic arti- sanal) est employée permettant d'ob- tenir des eaux-de-vie d'une intensité aromatique complexe et d'une grande finesse. La légende dit que cette tech- nique fut inventée par le Chevalier de la Croix Maron, seigneur de Segonzac, qui rêva que Satan tentait de damner son âme par deux fois et eut ensuite l'idée d’extraire l’âme de l’eau-de-vie par une seconde distillation. À cette époque, plusieurs riches com- merçants venus d'Angleterre fondent en Charente des sociétés de négoce spécia- lisées dans la production et la vente de cognac, telles que Martell ou Hennessy. Au XIX e siècle, les maisons de négoce se multiplient et la population locale augmente fortement. Le commerce du cognac est stimulé par le traité de libre- échange signé avec l’Angleterre, en 1860. Le vignoble s’étend alors sur plus de 280 000 hectares. Une place de choix De nouvelles habitudes se créent, le cognac est désormais expédié en bouteilles et non plus en fûts. Dans le sillage des maisons de négoce, des industries verrières apparaissent. Une machine est conçue pour automatiser une partie du travail des verriers. Mais un coup d'arrêt brutal est porté dans les années 1870 à la production de cognac. Le phylloxera, insecte piqueur apparenté au puceron et originaire de l’Est des États-Unis, va décimer le vignoble. Celui-ci ne recouvre plus que 40 000 hectares en 1893. Il faudra de nombreuses années d'efforts pour que le vignoble se reconstitue et que le cognac retrouve sa place de choix. Au XX e siècle avec la commercialisation du Pineau des Charentes, les terres viticoles se développent en Charente- Maritime. De l'île d'Oléron à la presqu'île D'Arvert, autour de Saintes ou à proximité de Jonzac, de petites exploitations individuelles fabriquent cette boisson à base de cognac. Aujourd'hui, les vignobles de pineau s'étendent sur 1500 hectares pour une production de 79359 hectolitres par an. Coté cognac, avec la vente 197,4 millions de bouteilles en 2017 pour une valeur de 3,15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le secteur est de nouveau fleurissant. Il emploie environ 16 800 personnes, dont 4 450 producteurs.

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